Skip to main content

Voyage, voyage dans les nuages d’un récit inspirant

Je vous embarque cette fois-ci dans un récit littéralement voyageur.
Éteignez les lumières, fermez les hublots.

Toute la cabine semble endormie. Quelques lueurs bleutées éclairent encore certains visages de ceux qui se sont assoupis trop tôt devant leurs écrans. Les têtes sont penchées, les masques de sommeil ont couché les regards. Cʼest un de mes moments préférés. À 10 km au-dessus de lʼAfrique, nous sommes tous là, suspendus et, presque tous, endormis. Le ciel est noir, quelques nuages reflètent les feux de navigation et dʼanti-collision de notre bâtiment volant. Des passagers ont pris le temps et le soin de sʼéquiper des bouchons dʼoreille. Je me suis défaite de cette habitude et je préfère entendre le silence. De quoi se prémunissent-ils ? Des cris et des pleurs dʼun enfant qui se réveillerait, de la voix dʼune hôtesse peu scrupuleuse qui aurait oublié de chuchoter en passant ? La majeure partie des sons émis est enveloppé par le bourdonnement du moteur et le ronronnement de la ventilation. Et cʼest justement ce bruit que jʼaime et qui me berce. Nous sommes paisibles, survolant des contrées sur lesquelles la plupart dʼentre nous nʼa pas posé les pieds. Nous survolons lʼinconnu. Et, pourtant, nous sommes paisibles. Ce vol, je le connais que trop même sʼil a déjà su me surprendre. Il y a bien une fois où nous avons dû nous arrêter au Caire. Un arrêt bref et brutal. Celui où la vie doit gagner. Je me souviens de cette nuit où lʼambiance était devenue en quelques minutes très particulière. Des hôtesses sʼemboitaient le pas dans les couloirs. Un steward cherchait activement un médecin. Et puis, il y a eu cette annonce du commandant de bord qui a fini par confirmer nos terribles soupçons. Une personne à bord avait besoin de soins dʼurgence. Nous apprenions, par la suite, quʼelle présentait les signes dʼun accident cardio-vasculaire. Cette halte de deux heures en Égypte était donc vitale pour cette personne et sa famille. Après cet événement, mes enfants se sont longtemps vantés quʼils étaient déjà allés en Égypte, ignorant, du haut de leur innocence, la cause terrible de ce stop. Si “aller en Égypteˮ voulait bien dire rester dans un avion parqué sur le tarmac de lʼAéroport international du Caire, alors cʼétait bien vrai. Mais nous étions loin de lʼimage archétypale dʼun voyage en Égypte à découvrir ses pyramides et voguer sur son Nil.

Le petit signal que jʼattendais presque impatiemment retentit dans cette nuit voyageuse. Il faut attacher sa ceinture. Elles sont dʼabord légères et sʼintensifient très rapidement. Secousses, vibrations, comme dans un petit manège, les turbulences nous soulèvent. Le cisaillement du vent, les courants dʼair, cʼest lʼimprévisible qui nous saisit. Et cʼest à ce moment très précis, que je me sens la plus vivante, voire joyeuse. Il mʼest arrivée de sourire, voire de rire pendant ces épisodes mouvementés qui ont fini par mʼamuser. Je ne me souviens pas mʼêtre déjà inquiétée de ce phénomène et jusquʼà lʼheure cela reste un de mes étranges petits plaisirs. Je suis satisfaite. Voilà, donc le premier critère dʼun bon vol coché. Je pouvais me rendormir. Le seul problème était de retrouver la bonne position. Est-ce que ce sont mes os qui sont vraiment saillants ou ces sièges de plus en plus inconfortables ? Je redouble de coussins, piqués à mon voisin pour rendre plus douillet mon siège-lit de fortune. Malgré tout, jʼai de la chance. Mon voisin à lʼarrière nʼa pas bloqué ses genoux sur mon dossier et celui de devant nʼa pas baissé totalement son siège écrasant. Je retrouve une position qui me…

“Quelle heure est-il ?ˮ je me réveille presque en sursaut. Pourquoi suis-si inquiète de lʼheure quʼil est. Je nʼai pas loupé ma destination, mais jʼaime mʼy préparer.

“5h15ˮ il me chuchote.

Je soulève délicatement mon hublot, juste un peu et juste assez pour que les rayons du soleil mʼaveuglent. Tout est doré. Des passagers nʼont pas encore levé les paupières. Pour eux, la nuit se poursuit. Pour dʼautres, le petit matin fait son effet. Ils se lèvent, marchent un peu, se détendent et sʼétirent. Jʼenlève mes collants pour ne conserver que ma robe. Je dois aller aux toilettes me rafraîchir. Il est tôt, aucune attente à déplorer, jʼai le champ libre. Cʼest étroit, mais cela reste pratique. En revanche, il ne faut pas trop en vouloir au miroir et sa lumière crue qui me font une mine dʼenfer. Blush, fond de teint, mascara, on est bon. Non ! Il est là, il me nargue dans ma trousse, lʼécran total que jʼai oublié. Jʼefface et je reprends tout ! Une fois le miroir plus compatissant, je peux sortir.

Les hublots sont à présent tous relevés. La lumière inonde la cabine. Mon regard se perd dans le bleu — le ciel et l’océan fusionnent en un unique flot d’outremer. En sirotant mon thé, je sens qu’elle approche. Je n’ai pas vraiment le cœur à manger ; je laisse la moitié de mon plateau-repas intact tandis que mon esprit vagabonde sur cet infini bleuté. Elle s’approche. Les hôtesses et les stewards débarrassent, je plie ma petite couverture, réajuste mon coussin et rends celui emprunté à mon tendre compagnon de vol. Il est bientôt temps. Plus aucun mouvement n’est autorisé hors de nos sièges. Les hublots doivent être grands ouverts sur l’horizon qui nous attend. Je la vois. Mon cœur bat la chamade, comme à chaque fois. Ma respiration se fait courte, plus intense. Les larmes me voilent les yeux. Elle me voit, je la vois, et c’est toujours la même histoire — ce sentiment étrange de se reconnaître en elle comme elle se reconnaîtrait en moi. Je contemple ses côtes ciselées, ses montagnes verdoyantes et habitées qui plongent dans l’océan. Cet océan indigo. Elle approche. Mes joues sont fraiches de larmes. La piste au bord des vagues nous tend son tarmac. Nous perdons en altitude, elle se rapproche. Je la vois dans sa multitude de détails, ses arbres et toute sa végétation se dessinent. Les cases et les immeubles sont bien plus distincts. Nous sommes à présent loin des nuages. Et sous les applaudissements de nombreux passagers, nous sommes là. Terre.

Les nouveaux voyageurs ont trouvé cela étrange, mais pour moi, applaudir est devenu la tradition de ce vol. Ce geste incarne notre gratitude collective, comme une pluie de remerciements. Au-delà de saluer la prouesse technique du pilote et de son équipe pour l’atterrissage sur cette piste, nous célébrons surtout la vie elle-même. Après plus de dix heures dans les cieux, ce voyage mérite bien cette conclusion marquante — un dernier moment de communion joyeuse.

Je ne me presse jamais. À quoi bon courir puisque les bagages prennent toujours leur temps pour arriver sur le tapis roulant ?

“Cʼest celle-ci ta valise ?ˮ il me demande.

“Non, elle est rose foncé et elle a un petit ruban rouge”, je rétorque.

Votre bagage doit être reconnaissable, c’est la leçon principale que j’ai tirée de tous ces voyages. Cela évite les échanges accidentels et les déceptions. Pas question de se faire mal au dos à soulever toutes les valises pour chercher un détail distinctif.

Apparemment, certains ont décidé de reconnaître leur valise à leur contenu.

“”Cette dame était assise en G32, je la reconnais. Elle semblait épuisée ce matin et se plaignait de sa mauvaise nuit. Je crois que son calvaire n’est pas tout à fait terminé”, soupirait mon tendre compagnon avec un léger sourire.

Une valise qui laissait échapper du vin rouge n’augurait rien de bon. J’imaginais ses vêtements imbibés et tout ce précieux nectar perdu. Quelle idée saugrenue !

“Cʼest bon, je les ai toutes !ˮ

L’épreuve de l’attente des valises touchait à sa fin. Trois valises — toutes étaient là. J’avais passé plus de dix heures paisible dans les airs, mais ces quarante-cinq minutes d’attente des bagages étaient les plus angoissantes. L’atterrissage n’est qu’une formalité ; on n’est vraiment arrivés à destination que lorsque les bagages sont récupérés. Pas avant. Une fois, j’ai dû attendre plus d’une heure avant de repérer mon sac sur le tarmac — il était en cours de chargement pour une autre destination. Je ne saurai dire comment j’ai réussi à l’apercevoir sur la piste à ce moment précis. C’était absolument miraculeux.

Mes valises sont lourdes, mais je me sens néanmoins plus légère. La douane nous salue. Et, comme la porte d’un four, les baies vitrées sʼouvrent sur une foule accueillante. Cʼest saisissant, il fait chaud, les couleurs éclatent.

Bienvenue à l’île de la Réunion.

Il y a des choses comme ça que l’on vit des dizaines, voire des centaines de fois, toujours avec la même émotion. Je n’ai jamais réussi à retenir mes larmes avant d’atterrir. Je suis née à l’île de la Réunion, toute ma famille y vit encore, mes amis d’enfance y sont restés ou retournés. Je l’ai quittée à 19 ans pour poursuivre mes études et j’essaye d’y retourner chaque année pour me reconnecter à mes racines, un voyage essentiel.

Concentré dans un récit, je continue de faire vivre ce vol de près de 11h en moi. Je vous encourage à coucher sur le papier ces moments répétés qui provoquent en vous toujours le même émoi. C’est un exercice de mémoire, une reconnexion à vos émotions, vos ressentis. C’est aussi le meilleur moyen de conserver ces instants précieux qui nous font du bien, autre part que dans un coin de notre tête. Bribes ou grands récits, je les relis pour retrouver l’inspiration lorsque c’est le néant.

Merci de m’avoir lue.
À très vite pour une nouvelle histoire.

❤️ Gina

BOUM BOUM, c’est la true story de mon parcours.
Un flot d’histoires, dans des formats libres, pour explorer ensemble le thème de la construction identitaire à travers le prisme de l’entrepreneuriat créatif. Quand nos expériences persos résonnent dans nos choix pros, ça fait boum boum. Histoires à suivre.